Auteur : Philippe | Année : 1382-1789 |
LA BASTILLE
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L'origine Le célèbre château-fort, qui a projeté pendant plus de de quatre siècles son ombre sur tout un quartier de Paris, a son origine dans la porte Saint-Antoine de l'enceinte de Charles V. Hugues Aubriot
Tous les oisifs de Paris furent employés à sa construction, qui commença en 1370. Les charretiers étaient payés cinq sols par jour, les maçons quatre et les manoeuvres trois. Son histoire: la forteresse Pendant les deux premiers siècles, la Bastille conserva son caractère de citadelle militaire même si, occasionnellement, quelques personnes y furent enfermées. Mais, sauf sous Louis XI, la Bastille ne servit de prison qu'exceptionnellement. Les rois y logèrent les hôtes qu'ils ne pouvaient recevoir à l'Hôtel Saint-Pol, la résidence royale, ou aux Tournelles.
Louis XI
Sous Henri II, on compléta la défense extérieure de l'enceinte de Paris en construisant, de 1557 à 1559, quelques bastions, dont un devant la Bastille. Le roi fit emprisonner le chancelier Anne du Bourg, qui avait dénoncé les vices de la Cour. Cela ne lui fut pas pardonné, et il fut pendu en place de Grève en décembre 1559. Catherine de Médicis, quant à elle, fit emprisonner deux maréchaux de France, François de Montmorency et Arthur de Cossé, qui furent libérés quelques années plus tard, après avoir été innocentés des accusations de trahison dont ils étaient l'objet. Pendant les Guerres de religion, Bernard Palissy, le célèbre céramiste, fut enfermé comme huguenot (c'est à dire protestant) en 1590. A une dame qui venait voir le grand artiste, le gouverneur de la Bastille Bussy-Leclerc, répondit: " Vous trouverez son corps avec ceux des chiens sur le rempart où je l'ai fait jeter." Henri IV utilisa la Bastille comme coffre-fort. C'est là qu'il déposa le Trésor royal, c'est à dire les réserves d'or de la France, estimée par son ministre Sully à plus de 25 millions de livres. La tour qui abrita les économies du royaume fut dès lors appelée la Tour du Trésor. Ce fut ensuite le tour d'Eleonora Galigaï, après qu'elle eût assassiné son mari, Concino Concini, le Maréchal d'Ancre. Elle fut plus tard transférée à la Conciergerie, où elle fut jugée et eut la tête tranchée. La prison Avec Richelieu, la Bastille cessa d'être une citadelle militaire, pour devenir exclusivement une prison d'état. Elle fut dès lors administrée par un Gouverneur. Les huit tours furent affectées au logement des prisonniers, les cachots en bas, les prisons au-dessus. Toutes les cellules étaient munies d'une double porte de 5 à 8 centimètres d'épaisseur avec guichet, bardée de fer et bien pourvue d'énormes serrures et de verrous. L'accès à la Bastille se faisait par un unique passage, situè à droite de la rue Saint Antoine. Une inscription au n°5 en révèle l'emplacement. Il était bordé à gauche de cinq ou six échoppes, louées par le Gouverneur à quelques commerçants, fournisseurs privilégiés des prisonniers, et à droite par le casernement des Suisses et des Invalides composant la garnison. Suivait un pont dormant (emjambant l'actuel boulevard Henri IV), puis deux autres pont-levis parallèles. Le premier, large, conduisait à la porte d'entrée de la forteresse; le deuxième, plus étroit, conduisait à une poterne, la seule porte qu'on ouvrait la nuit. Ces ponts passés, on arrivait enfin dans une cour, la grande cour ou cour d'honneur, de 35 mètres sur 18. C'est là que les prisonniers de la tour de la Liberté pouvaient se promener librement. |
La vie à la Bastille: une prison de luxe Beaucoup d'historiens républicains ont volontairement décrit la Bastille comme un endroit effroyable. Il fallait justifier l'abolition de l"Ancien Régime" et l'avénement de la République par tous les moyens... Le nombre de prisonniers ne fut jamais considérable: en moyenne 40 par an sous le règne de Louis XIV, et 19 sous celui de Louis XVI. Sa capacité totale n'excédait pas, d'ailleurs, 50 prisonniers. Ceux-ci, en général, n'y restaient pas longtemps. Par exemple, si l'on prend en considération l'année 1782, la moyenne du temps de détention des 23 prisonniers n'a été que de 130 jours. De plus, être incarcéré à la Bastille n'avait rien de déshonorant, puisqu'on n'y était enfermé que sur lettre de cachet, libellée comme suit: " Monsieur le Gouverneur, en envoyant en mon château de la Bastille le sieur X..., je vous fais cette lettre pour vous dire que mon intention est que vous ayez à l'y recevoir et retenir en toute sûreté, jusqu'à nouvel ordre de moi. Et la présente n'étant pour autre fin, je prie Dieu qu'il vous ait, Monsieur le Gouverneur, en sa sainte garde". Suivaient la signature du roi et le contre-seing du ministre. Le prisonnier était toujours amené en voiture par un fonctionnaire de la police, à moins ...qu'il ne s'y soit rendu de lui-même ! Il appartenait au prisonnier de se meubler lui-même, soit en y faisant venir ses propres meubles, soit en en louant au tapissier de la Bastille. S'il n'avait pas d'argent, le Gouverneur lui en donnait, avec toute liberté de s'en servir pour se meubler ou se nourrir. Certains firent, sur cette somme, des économies qui leur assurèrent un pécule à leur sortie. A partir de 1684, le roi fit meubler quelques chambres pour les prisonniers dont la détention devait rester secrète. Elles l'étaient presque toutes sous le règne de Louis XVI. Les prisonniers mis dans un cachot, plus ou moins enfoncé sous terre, n'y trouvaient qu'un banc, une paillasse et une couverture. Dès Louis XV, ils n'étaient plus réservés qu'aux prisonniers coupables de rébellion violente ou aux guichetiers ayant gravement manqué à leurs devoirs. Sous Louis XVI, leur emploi fut définitivement interdit, pour quelque motif que ce fût. Le Gouverneur touchait du roi des subventions nécessaires à la nourriture et à l'entretien de ses prisonniers (habillement, chauffage et éclairage). Les repas étaient servis individuellement à 7 heures du matin (déjeuner), 11 heures (dîner) et 6 heures du soir (souper). Ils étaient toujours copieux, voire somptueux. Sous Louis XIV, quelques prisonniers demandèrent au Gouverneur d'avoir un régime alimentaire plus modeste et de recevoir en argent ce qu'ils ne mangeraient pas. Certains prisonniers étaient dépourvus de linge et d'argent. Le roi leur fournissait: des robes de chambre, ouatées ou fourrées de peau de lapin, des habits de fantaisie de bon drap faits sur mesure, et tout le linge désiré. Un sieur Hugonnet s'était plaint que le linge fourni ne correspondait pas exactement à ce qu'il avait demandé. Il fut exaucé sur le champ. Le barbier attaché à la prison n'était pas en reste: "Bassin et coquemar d'argent, savonnette parfumée, serviette à barbe garnie de dentelle, beau bonnet, rien n'y manquait" relate de Renneville.
Tout nouveau prisonnier devait être interrogé dans les vingt-quatre heures par un magistrat du Châtelet qui avait devant lui les notes que lui avait remises le lieutenant de police. Un rapport était envoyé au lieutenant de police, qui décidait du maintien de la détention. Le prisonnier mis en liberté l'était au reçu d'une nouvelle lettre de cachet ainsi libellée: " Monsieur le Gouverneur, ayant bien voulu accorder la liberté au sieur X..., détenu par mes ordres en mon château de la Bastille, je vous fais cette lettre pour vous dire que mon intention est qu'aussitôt qu'elle vous aura été remise, vous auriez à faire mettre ledit sieur X... en pleine et entière liberté. Et la présente n'étant pour autre fin, je prie Dieu qu'il vous ait, Monsieur le Gouverneur, en sa sainte garde". Suivaient les signatures habituelles.
Lettre de cachet signée de Louis XVI, envoyant le cardinal de Rohan à la Bastille lors de l'affaire du collier de la Reine
Une fois libéré, l'ex prisonnier devait signer un engagement de ne rien révéler de ce qu'il avait vu à la Bastille. Cette promesse fut, en général, tenue. Lorsqu'un prisonnier décédait à la Bastille, il était enterré dans le cimetière de l'église St Paul des Champs. Les juifs, les protestants et les suicidés étaient, quant à eux, enterrés dans le bastion de la Bastille, terre non bénite. |
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Les emprisonnés célèbres de la Bastille Le dernier Gouverneur de la Bastille est sans doute le plus célèbre d'entre tous. Monsieur le marquis Jourdan de Launay, est lui-même né en 1740 à la Bastille, d'un père déjà Gouverneur en 1718. Il finira sa vie, massacré par la populace ainsi que presque toute la garnison de la Bastille, le soir du 14 juillet 1789, malgré la promesse qu'il ne serait fait aucun mal à ses soldats. Le Maréchal de Bassompierre, emprisonné de 1631 à 1643, sur l'ordre de Richelieu, qui ne supportait plus ses intrigues. Lorsqu'il fut libéré, il fut présenté au roi Louis XIII qui lui demanda son âge. Il en avait 64, mais en accusa 52: "Sire, dit-il, je retranche les 12 années passées à la Bastille parce que je ne les ai pas employées au service de Votre Majesté". On avait de la classe en ce temps-là... Le 20 juin 1663, le Surintendant Nicolas Fouquet y fut écroué avec son médecin particulier et son valet de chambre. Destitué et arrêté sur l'ordre de Louis XIV en 1661 pour malversations, condamné à la confiscation de ses biens et au bannissement hors du royaume, il vit sa peine élargie par le roi, en vertu de ses pouvoirs de justice, à l'emprisonnement à vie. Il ne resta que peu de temps à la Bastille, et finira sa vie à la forteresse de Pignerol en 1680. Nicolas Fouquet Le chevalier Louis de Rohan, fils cadet du prince de Guéménée, colonel des Gardes de Louis XIV, criblé de dettes et amant prolifique, eut la mauvaise idée d'entrer en complot avec Lautréamont, pour livrer Quilleboeuf aux Hollandais, et soulever la Normandie. Il fut incarcéré à la Bastille en 1674' et décapité dans la même année, pour haute trahison. Voltaire fut enfermé à la Bastille le 17 mai 1717, pour avoir affirmé, à tort, que le Régent avait entretenu des relations incestueuses avec deux de ses filles. Le comte Lally-Tollendal, brillant défenseur des comptoirs français des Indes face aux Anglais, avait dû se rendre, après le siège héroïque de Pondichéry. Il avait obtenu de leur part sa mise en liberté sur parole pour se rendre à Paris, afin de repousser les calomnies répandues contre lui. A son arrivée, on l'embastilla le 1er novembre 1762. Après un procès qui dura plus de 3 ans, il fut condamné à mort et décapité le 9 mai 1766. Il fut le dernier prisonnier à quitter la Bastille pour l'échafaud. Il fut réhabilité en 1788, par Louis XVI. Une seule personne entra à la Bastille entre le 1er janvier et le 14 juillet 1789. Ce fut Révillon, le fabricant de papiers peints du faubourg St Antoine, venu y chercher volontairement asile, le 1er mai, après que sa fabrique eut été mise à sac lors d'une émeute. Il y resta 28 jours. La fin de la Bastille Dans la journée du 13 juillet 1789, la foule parisienne, agitée par les harangues de Saint Just au Palais-Royal, était composée de deux éléments fort différents. D'une part, une cohue déguenillée formée de ceux qu'on appelait "les brigands". C'était la lie de la population qui, armée de piques et de gourdins, s'occupa de mettre à sac les bureaux d'octroi placés aux portes de Paris, à piller les boulangeries, les marchands de vin, les armureries, à menacer les passants, à attaquer la prison de la Force et la Maison Saint Lazare, à saccager la demeure du lieutenant de police Thiroux de Crosne, et à dévaster le Garde-meuble. Mais les armes manquaient. Il fallait s'en procurer; les brigands pour piller et violenter, les milices pour rétablir l'ordre. Ils se rendirent, au matin du 14 juillet, aux Invalides, où 24 000 fusils et 24 canons furent récupérés, malgré l'opposition du Gouverneur, Monsieur de Sombreuil. Il ne fut donc nullement question de marcher sur la Bastille pour lutter contre le despotisme et pour la liberté, voire même pour y délivrer les prisonniers victimes de la tyrannie, mais tout simplement pour y faire un coup de main sur les armes. En fait, la Bastille n'en avait pas. Elle ne contenait que les 35 000 livres de poudre que l'Arsenal y avait fait récemment entreposer, pour les mettre à l'abri d'une émeute possible. Sa défense étatit plutôt faible: 15 canons rouillés montés sur des affûts fixes, placés au haut des tours, et utilisés pour tirer des salves à blanc les jours de réjouissances publiques, plus 3 canons chargés à mitraille dans la grande cour, et 6 fusils de rempart. Vers 10 heures du matin, le Gouverneur, Monsieur de Launay, reçut deux délégations qui lui demandèrent de retirer les canons des tours, sous le prétexte que ceux-ci inquiétaient les Parisiens. Monsieur de Launay leur expliqua qu'il ne pouvait, sans ordre du roi, faire descendre les canons, mais qu'il allait les faire reculer, et que les embrasures seraient obturées par des planches. Vers 4 heures et demie, les assaillants tentèrent d'incendier la porte de la prison en amenant trois voitures de paille auxquelles ils mirent le feu. Ils ne réussirent qu'à brûler les corps de garde de l'Avancée, les cuisines et l'hôtel du Gouverneur. Apercevant une jolie fille qui passait, et pensant qu'il s'agissait de la propre fille de Monsieur de Launay, ils la capturèrent et la jettèrent sur une paillasse à laquelle ils menacèrent de mettre le feu si la Bastille ne se rendait pas. C'est alors que tout bascula. La foule reçut le renfort de Gardes Françaises, équipés de deux canons. Monsieur de Launay pensa un instant mettre le feu aux 35 000 livres de poudre et tout faire sauter, ce à quoi s'opposèrent deux Invalides. L'un d'eux fut bien mal récompensé, puisqu'il fut, le soir même, atrocement mutilé avant d'être pendu en Grève. La garnison, ayant forcé la main à Monsieur de Launay, et décidé de capituler, demanda aux assaillants de sortir avec les honneurs de la guerre, ce qu'on lui refusa. On lui promit seulement qu'aucun mal ne serait fait à la garnison. Monsieur de Launay, ayant eu foi en cette promesse, ordonna d'abaisser le pont-levis. Les jours suivants, la Bastille devint le centre de toutes les convoitises. Afin d'assurer un semblant d'ordre, dès le 15 juillet, le Comité des Electeurs siégeant à l'Hôtel de Ville fit évacuer la Bastille. Le 16, Danton y pénétra, et tenta de s'en emparer. Pour éviter toute complication, le Comité des Electeurs décréta sa démolition immédiate.
Une pierre-souvenir de la Bastille
Il y ajouta, comme "souvenirs, et pour perpétuer "l'horreur du despotisme", des clefs, des serrures, des boulets et autres objets recueillis lors des démolitions. Il fit aussi avec eux des médailles, des épées, des jouets et des emblèmes de toutes sortes, que ses courtiers vendirent un très bon prix. Palloy construisit aussi en août 1792, le mur d'enceinte entourant le donjon du Temple où était emprisonnée la famille royale. La Bastille détruite, on construisit le pont Louis XVI (futur pont de la Concorde) avec ses pierres afin qu'elle put être foulée aux pieds par le peuple. La place ainsi libérée fut un lieu de promenade pour beaucoup. Latude faisait le guide et racontait ses évasions, et proposait aux jolies filles de leur faire découvrir quelque sombre cachot connu de lui seul...
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Le saviez-vous ? La querelle dite "des Armagnacs et des Bourguignons" naît sous Charles VI de l'inimitié des maisons d'Orléans et de Bourgogne. Elle prend un tour aigu après l'assassinat de Louis d'Orléans en 1407. Contre l'auteur du crime, Jean sans Peur, s'allient Charles, le jeune fils du défunt duc d'Orléans, et Bernard VII, comte d'Armagnac. Cabochiens C'est le surnom donné aux membres les plus révolutionnaires de la faction bourguignonne à Paris, pendant la folie de Charles VI. Les Cabochiens obéissent aux mots d'ordre de Simon Caboche, "escorcheur de vaches à la boucherie St Jacques". Ils attaquèrent la Bastille, où s'était retranché le prévôt Pierre des Essarts, dont ils finiront par obtenir l'"exécution", après une parodie de jugement. Ligue du Bien public Ligue constituée en 1465 contre Louis XI par les grands du royaume. Elle fut dissoute après l'indécise bataille de Montlhéry, par les traités de Conflans et de Saint-Maur. La bataille de Montlhéry (enluminure)
Cette ligue est la résultante des mécontentements conjugués des bourgeois et du peuple, dont les impôts augmentaient, du clergé, soumis à l'impôt, et des nobles, atteints dans leurs privilèges. Le nom de ligue du Bien public est trompeur. Il s'agissait, en réalité, pour les grands seigneurs qui prirent la tête de la révolte, de protéger leurs intérêts particuliers. Lettres de cachet Lettres fermées, scellées du sceau royal, employées sous l'Ancien Régime pour convoquer les corps politiques et judiciaires, ordonner les cérémonies publiques, et aussi pour donner l'ordre d'incarcération ou d'exil d'un sujet, en application de la justice retenue. L'affaire du collier de la reine Cette célèbre escroquerie, qui se déroula sous le règne de Louis XVI fut, selon Goethe, "la préface de la Révolution". Le règlement doit se faire en quatre versements échelonnés sur deux ans.
La prise de la Bastille (chanson de 1790) D'un pas ferme et triomphant R'li r'lan r'lan tan plan ! (Le Bourgeois et le marchand
(Le bruit de l'airain sonnant)
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