Histoire des monuments, des lieux et des quartiers
Cachots et prisons de Paris (2)

HISTOIRE DES PRISONS ET AUTRES CACHOTS DE PARIS (2ème partie)

de l'Ancien régime à la Révolution

(source: Jacques Hillairet)

 

LES PRISONS DE PARIS


La première prison publique parisienne, le "carcer Glaucini", se trouvait située, au temps de l'occupation de Lutèce par les Romains, dans la partie méridionale de l'île de la Cité, au voisinage du débouché du Petit-Pont. C'est dans cette prison qu'auraient été enfermés saint Denis, saint Eleuthère et saint Rustique.

Leur ancienne prison ayant été brûlée, on la remplaça par une autre, édifiée dans la partie nord de la Cité. Son nom de carcer (prison), se trouve sous la forme de Chartre dans ceux de différents édifices que l'on construisit ensuite dans son voisinage, tels que les églises Saint Denis de la Chartre et Saint Symhorien de la Chartre. cette deuxième prison devait se trouver sous l'emplacement actuel du Marché aux Fleurs.

 

3 St Denis de la Châtre vers 1650

Au Xè siècle, on trouve à Paris les prisons suivantes: celle du comte de Paris, installée dans une dépendance de son palais, devenu depuis notre Palais de Justice; celle de l'évêque, située d'abord dans son palais, puis sur la rive droite, en un lieu-dit "Tudela"; celle du chapitre de Notre-Dame (la première église de ce nom), près de l'église Saint Pierre aux Boeufs, et celles des abbés de sainte geneviève, de Saint Germain des Prés, du prieur de Saint Martin des Champs, et d'autres encore aux bourgs Saint Marcel, Saint germain l'Auxerrois, Saint Laurent...Dès lors, le nombre de ces prisons alla en croissant avec l'augmentation des juridictions et de la population. Il ne diminua qu'à partir de 1674, lorsque Louis XIV supprima les juridictions particulières.

Dans les très grandes lignes, on peut classer comme suit les prisons de Paris sous l'ancien régime:

- les prisons ressortissant à la justice du roi, elles-mêmes groupées en trois catégories , d'ailleurs pas très bien délimitées:

. celles où étaient détenues, en vertu d'une lettre de cachet, les personnes estimées politiquement dangereuses: faux-monnayeurs, espions, comploteurs, pamphlétaires, libellistes, nouvellistes, colporteurs d'écrits défendus et aussi, à certaines époques, les magiciens et les impies, les protestants et les jansénistes, les convulsionnaires, ou encore des personnalités ayant commis quelques scandales à la Cour et à la Ville. Il y avait une sorte de gradation dans le choix de la prison assignée au titulaire d'une lettre de cachet. Funck-Brentano l'a bien mise en évidence en prenant l'exemple suivant: " Supposons un groupe d'arrestations provoquées par une publication interdite; l'auteur sera envoyé à la Bastille ou à Vincennes, le libraire et l'imprimeur seront enfermés au For-l'Evêque et les colporteurs à Bicêtre. "
. les prisons de droit commun pour les personnes arrêtées par arrêts de justice ou par sentence du lieutenant-général de police. Dans cette catégorie, citons les prisons du Grand Châtelet, de la Conciergerie, du Petit-Châtelet (jusqu'en 1782), de l'abbaye de Saint Germain des Prés (à partir de 1674), de la Grande-Force et de la Petite-Force (à partir de 1782), de Saint Eloi et de Saint Martin des Champs, auxquelles on peut ajouter le dépôt des galériens de la Tournelle
. les "maisons de force", dépendant de l'Hôpital Général, qui recevaient les personnes détenues aussi bien par lettre de cachet ou par mesure de police qu'à la suite d'une condamnation régulière. Dans cette catégorie, on trouve les maisons de force de la Salpétrière et de Bicètre.

- les prisons des juridictions seigneuriales au nombre de 18 jusqu'en 1674, dont celles du prévôt des marchands, de l'évêque puis de l'archevêque, etc...

- les lieux de détention dans certains établissements religieux ou laïcs tels que, pour les premiers, les couvents de Sainte Pélagie, des Madelonnettes, des Filles de Saint Michel et de Sainte Valère, et pour les seconds, les maisons de discipline de Mlle Douay et de Sainte Colombe.

 

4 prison de la Force

1/ Généralités sur les prisons

On ne doit pas juger les prisons de l'ancien régime avec la mentalité de nos jours.

Leur administration, très particulière, résultait d'édits royaux et d'arrêts du Parlement, dont les derniers furent pris en 1670, 1680, 1690 et 1707. Leur texte était affiché dans les lieux de détention et lecture en était donnée aux prisonniers deux fois par an, à la Saint Martin et à Pâques.

On pouvait, sous l'ancien régime, être incarcéré, soit par lettre de cachet, soit par mesure de police; on l'était beaucoup plus rarement par suite d'une condamnation par les tribunaux. Il convient en effet de remarquer que, jusqu'à la loi révolutionnaire des 19-22 juillet 1791, l'emprisonnement n'était admis autrefois en matière criminelle que comme mesure préventive pour la garde des accusés pendant l'instruction de leur procès. On pouvait toutefois rester en prison après jugement, mais seulement jusqu'à ce que soient payés l'amende et les dépens.

L'emprisonnement n'était donc pas considéré comme une peine; aussi n'était-il jamais prononcé par les tribunaux ordinaires ou militaires sauf, exceptionnellement, pour les femmes, celles-ci ne pouvant être condamnées à la peine des galères. Seuls les tribunaux ecclésiastiques prononçaient des emprisonnements à temps ou à perpétuité, comme peine de droit commun à subir dans leur prison, mais ceci ne concernait que les tonsurés;

Les prisons de l'ancien régime ci-dessus énumérées n'étaient donc pas un lieu expiatoire ainsi que le sont les prisons de nos jours.

2/ Les lettres de cachet

La lettre de cachet était ainsi appelée parcequ'elle était pliée et cachetée de telle façon que le porteur ne pouvait pas lire le contenu. Elle renfermait un ordre d'emprisonnement immédiat, sans instruction ni jugement préalables et sans durée fixée. Elle était signée du roi sur un imprimé où le nom de l'intéressé et celui du lieu de détention avaient été laissés en blanc, ce qui a donné naissance à la légende des "lettres de cachet signées en blanc par le roi", complaisamment relayée par les historiens républicains, Michelet en tête. Ces lettres étaient contresignées par un ministre; leur libellé était, en général, le suivant: "De par le Roy, il est ordonné au sieur ..... d'arrêter et de conduire à ..... le nommé ..... et au geôlier de ladite prison de le recevoir et le garder jusqu'à nouvel ordre. Fait à ..... le ..... Signé: Louis

Suivait, en-dessous, la signature du ministre.

 

5 lettre de cachet


On a beaucoup exagéré la sévérité des lettres de cachet, alors que celles-ci furent presque toujours délivrées à bon escient et après une étude très attentive de chaque cas par le ministre qui les contresignait.

Les lettres de cachet étaient délivrées, soit pour attentats à la sûreté de l'Etat -appellation bien vague, que l'on retrouve à toutes les époques et sous tous les régimes-soit par mesure de police, c'était alors un genre de mandat d'amener, soit enfin, et surtout, à la demande des familles. Une lettre de cachet n'avait rien d'infâmant.

Les lettres de cachet délivrées par mesure de police s'imposaient à une époque où, du fait de la procédure en vigueur, on ne pouvait arrêter quelqu'un, sauf en cas de flagrant délit, qu'après une information très minutieuse dont la longueur donnait au coupable tout le temps voulu pour s'échapper. Lorsqu'il y avait urgence, on les faisait précéder d'une lettre d'anticipation, expédiée par un ministre ou par le lieutenant-général de police, ayant force de loi jusqu'à l'arrivée de la lettre de cachet (ainsi fut fait pour Voltaire lors de son second envoi à la Bastille en 1726)).

La grande majorité des lettres de cachet délivrées par le roi l'a été à la demande des familles. Nombreuses ont été celles qui les ont sollicitées dans le but d'éviter à un des leurs, qui souvent n'avait mal agi que par faiblesse oupar suite d'un égarement passager, une flétrissure publique et une détention dans les prisons de droit commun, suivie d'une condamnation infâmante et toujours sérieuse étant donnée la sévérité des tribunaux.

Cette procédure permettait de mettre discrètement un terme à des affaires regrettables (affaires de moeurs, folles prodigalités, atteinte à l'honneur du nom, inconduite, dissentiments conjugaux...). "La raison d'être des lettres de cachet est la conservation de l'honneur des familles", a écrit Berryer.

Les lettres de cachet furent abolies, sur l'initiative de Louis XVI, par l'Assemblée Constituante, le 16 mars 1790.



3/ Le régime des prisons


La charge de directeur d'une prison (directeur appelé aussi "geôlier" ou "concierge", alors que celui des garndes prisons d'Etat, la Bastille, le donjon de Vincennes s'appelait "le gouverneur") était affermée au plus offrant. C'était un office qui se payait souvent cher, parfois jusqu'à 25 000 livres.

Tenu à entretenir la prison et les prisonniers, le concierge avait à faire face aux dépenses que lui valaient le logement, la nourriture et la garde de ceux-ci, dépenses qu'il compensait par des recettes en faisant payer aux prisonniers: un droit d'entrée, un loyer, un prix de pension et un droit de sortie. Il était, en quelque sorte, un hôtelier. Parfois âpre au gain, il avait naturellement tendance à exploiter ses "hôtes", même si ces différents droits avaient été taxés. En 1724, Louis XV transforma, dans les prisons royales, cet office en une commission. " Nous avons été informés que les baux des prisons donnaient souvent lieu aux exactions des geôliers, qui croyaient pouvoir se dédommager du prix de la ferme en faisant payer aux prisonniers des droits au-delà de ceux qui leur sont permis par les ordonnances. Ces abus nous ont paru d'autant plus importants que le pouvoir des geôliers sur ceux qui sont détenus dans leurs maisons ne permet pas souvent d'avoir des preuves de leurs prévarications et, ne pouvant pour cette raison, être dépossédés de leurs baux, les règlements pour la police des prisons étaient souvent sans exécution: c'est ce qui nous a détéerminé à décharger les geôliers de payer aucune chose pour la ferme des prisons, afin qu'il n'y ait, à l'avenir, aucun obstacle qui puisse arrêter nos ordonnances, par rapport à un objet si important que l'ordre public."

Seuls étaient écroués sur les registres du greffe des détenus par mesure de police ou par sentence des tribunaux: les prisonniers enfermés par lettre de cachet ne l'étaient pas toujours puisque nulle trace ne devait rester de leur emprisonnement. Une fois écroués, les détenus étaient enfermé dans une petite pièce où on les regardait avec beaucoup d'attention, de façon à les rennaître plus tard, si besoin était. On ne devait pas les garder plus de deux heures dans cette pièce.

Ceci fait, le concierge réglait avec le nouveau venu les questions du droit d'entrée et du gîte. S'il avait été prescrit de mettre le prisonnier au secret, ces questions étaient simplifiées, puisqu'on l'enfermait dans un cachot appelé, suivant le cas, cachot blanc ou cachot noir, où il couchait sur la paille et était au régime du pain sec et de l'eau.

Les cachots noirs étaient plus particulièrement réservés aux détenus pour crimes et à ceux susceptibles de se révolter; on ne les enchaînait que si cela avait été ordonné. Une ordonnance, prise par Charles IX à Orléans en 1560, avait spécifié que les cachots noirs ne devaient pas être situés en-dessous de la surface du sol, mais en fait elle ne fut pas appliquée et ce ne fut guère que peu avant la Révolution que leur destruction fut ordonnée par Louis XVI, par son ordonnance du 23 août 1780.



6 UN GEOLIER au 15eme siecle 1

 

Les prisonniers non au secret couchaient, suivant le prix qu'ils acceptaient de payer, soit dans un lit, soit sur la paille. Pour les prisonniers fortunés, les chambres à lit se divisaient en plusieurs sortes: il y avait d'abord les chambres particulières, avec ou sans cheminée, puis les chambres communes ou "pistoles", contenant plusieurs lits dans lesquels les prisonniers couchaient soit seuls soit à deux, soit à trois (chiffre maximum). Par exemple, en 1690, un détenu en chambre particulière payait, par jour, de 30 à 20 sols suivant que sa chambre avait ou non une cheminée. un "pistolier" payait un droit d'entrée de 10 sols, autant comme droit de sortie, plus 5 sols pour coucher seul dans un lit ou 3 sols s'il le partageait avec un autre co-détenu. Les prisonniers qui prenaient une chambre particulière pouvaient faire venir leur ameublement de chez eux ou louer au concierge un mobilier de complément. Dans ce cas, ils payaient au concierge un supplément correspondant à la surface occuppée par ce mobilier.

Les détenus infortunés couchaient en commun sur la paille: c'étaient les "pailleux". Ils étaient exemptés de de droit d'entrée, de sortie et de gîte.

Les draps étaient changés, en hiver tous les mois rt l'été toutes les trois semaines. La paille l'était tous les mois, sauf dans les cachots noirs où elle l'était tous les quinze jours.

Du point de vue nourriture, on distinguait trois classes:

- les prisonniers faisant venir à leurs frais leurs repas du dehors,
- les prisonniers que nourrissait le concierge contre une redevance, fixée en 1690 à trois livres maximum par jour, chambre comprise,
- les "pailleux", qui recevaient chaque jour une livre et demi de pain sec par jour, moyennant le paiement d'un sol.

La pension des prisonniers enfermés sur lettre de cachet dépendait de leur rang social.. Elle avait été fixée par jour, en 1717, à 50 livres pour un prince du sang ou un cardinal, à 36 livres pour un maréchal de France, un duc, un pair, un évêque, à 24 livres pour un ministre, un marquis, de 15 à 10 livres pour un conseiller au Parlement, de 10 à 5 livres pour un juge, un prêtre, un avocat, de 3 à 2 livres pour un petit bougeois et à 2 livres 10 sols pour les gens de petite condition.

Les prisonniers enfermés pour non paiement de leurs dettes étaient logés et nourris aux frais de leurs créanciers... Ceux-ci devaient verser au geôlier une provision correspondant à un minimum de séjour d'un mois, sur le taux de 4 sols par jour jusqu'en 1693, et de 7 sols après cette date; Le geôlier était responsable de ses prisonniers. Si l'un d'eux s'évadait, il incombait au geôlier de payer ses dettes.

Les prisonniers ne devaient pas être mélangés avec les prisonnières et il était prescrit de ne réunir dans une même chambre que des personnes de semblable condition. Les bonnes chambres et les bonnes places dans une chambre étaient distribuées selon l'ancienneté dans la prison. Défense était faite au geôlier d'enfreindre cette règle en recevant une gratification de ses hôtes, sous peine d'une amende du quadrule, ou d'une révocation, s'il récidivait. Il ne devait pas injurier, battre et maltraiter ses prisonniers.

Les prisonniers non au secret étaient en général libres de se promener, le jour, dans dans l'intérieur de la prison; les chambres et les cachots étaient ouverts, à cet effet, de 6 ou 7 heures du matin à 6 ou 7h du soir, suivant la saison.
Ils étaient tenus d'assister à une messe quotidienne, dont la charge incombait au concierge. la nuit venue, on les enfermait dans leur chambre ou leur cachot. jusqu'en 1730, les prisonniers gravement malades étaient libérés. A partir de cette date, on les transféra dans un hôpital ou on les renvoya chez eux, selon la gravité du cas qui avait motivé leur arrestation.

En principe, le concierge ne devait pas s'opposer à la libération d'un détenu si celui-ci ne s'était pas encore acquitté du paiement de ses différents droits d'entrée de gîte et de sortie. Mais en pratique, il les gardait tant que ces sommes ne lui étaient pas versées.

Il était de coutume que le nouveau venu fête son arrivée en payant sa bienvenue à ses co-détenus, sous forme de quelques cruches de vin. Souvent, les concierges tenaient une sorte de cantine où les détenus venaient s'approvisionner naturellement en payant. S'ils ne la tenaient pas eux-mêmes, ils se faisaient payer une redevance par le commerçant à qui ils l'avaient confiée. Ils touchaient, de même, un pourcentage sur les gains de tous les autres fournisseurs de la prison.

Les prisonniers dénués de toute ressource vivaient d'une façon misérable dans les cachots les plus défavorisés de leur prison. Leur situation était assez lamentable, aussi bien dans les prisons royales que dans les prisons seigneuriales. D'où la formation d'associations pieuses ayant pour but de faire des quêtes dans les paroisses et de visiter les prisonniers pour les secourir du point de vue matériel, en plus du point de vue spirituel. Les sommes recueillies étaient intégralement redistribuées: le geôlier risquait la pendaison s'il en détournait une partie. Ces dons étaient souvent importants lors des fêtes, surtout lors de la grande fête du 15 août. Il y avait lieu alors de veiller à ce que certains "clochards" ne se fassent volontairement arrêter, pour un délit de peu d'importance, afin de profiter des charités des visiteurs, toujours généreux ces jours-là.

Tous les lieux de détention qui précèdent, qu'ils aient appartenu, soit au roi, soit à des juridictions paticulières, soit à des établissements religieux ou laïcs, étaient régulièrement inspectés. Une ordonnance particulière de Charles IX, prise en 1560, prescrivait aux magistrats royaux de se rendre au moins quatre fois par an dans les prisons des seigneurs pour voir si elles étaient "bonnes, sûres et raisonnables", pour savoir quels prisonniers y étaient détenus, depuis combien de temps et pour quelles raisons. Cette ordonnance fut renouvelée en 1717: les lieutenants de police devaient inspecter toutes les prisons et rédiger une note sur les détenus et sur la cause de leur réclusion. Malheureusement, surchargés de besogne, ces magistrats n'eurent pas toujours le temps d'examiner à fond les plaintes qu'ils reçurent.