articlesPLNELA
Auteur : Philippe Années : 1889/1914

 


HECTOR GUIMARD
Ou la révolution de l'Art Nouveau

 

Page 1

 

Guimard, l'architecte de l'Art Nouveau

Né à Lyon en 1867, Hector Guimard "monte" à Paris en 1880 avec ses parents. Il entre à quinze ans à l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs.

 

hectorguimard



Admis en section architecture l'année suivante, il y sera sensibilisé aux théories d'Eugène Viollet-Le-Duc, qui lui fournirent les bases des principes structurels de l'Art Nouveau.
Le jeune Hector intègrera à dix-huit ans l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts.
Il participera à l'Exposition Universelle de 1889 en réalisant le Pavillon de l'Electricité; mais la "vedette" du moment est celle d'un autre ingénieur, Gustave Eiffel.
Guimard, s'il est remarqué, est encore largement inconnu de ses contemporains.

 

palaisélectricitéexpo1889

Le Palais de l'électricité
à l'Exposition Universelle de 1889

 

A la fin de l'année 1894, Hector Guimard, "architecte d'art" selon son expression, n'a que vingt-sept ans lorsqu' Elisabeth Fournier lui commande un immeuble de rapport.

Cette veuve de soixante ans, appartenant à la bourgeoisie catholique d'Auteuil, souhaite faire un bon placement.
La rencontre de Guimard en Belgique avec l'architecte adepte de l'Art Nouveau Victor Horta est déterminante pour la suite de sa carrière.

Guimard persuade sa cliente, alors que le gros oeuvre est déjà réalisé, de changer radicalement le parti architectural prévu, "caractérisé par un style néo-médiéval et une rigoureuse utilisation de la pierre équarrie".


Les formes mouvantes de la nature

Les trente-six appartements distribués sur six étages du castel Béranger (d'abord appelé castel Fournier, il devint le castel Béranger en raison de la proximité de
l'ancien hameau Béranger) constituent le véritable manifeste de l'architecte.
"Quand je construis une maison, quand je dessine un meuble ou que je le sculpte, je songe au spectacle que nous donne l'Univers". Ainsi, "l'oeuvre de la nature qui comporte trois principes absolus: la Logique, l'Harmonie, le Sentiment", est la base de son style.

 

Guimard expo Paris 1900papierpeint

Un modèle de papier peint imaginé par Guimard

 

Et Guimard, concevant l'architecture comme un tout, donne autant d'importance au décor des façades dont il dessine les éléments (par souci d'économie, il a recours à
la fabrication en série pour le bestiaire fantastique en bronze), qu'à l'aménagement des appartements, dont tous les éléments sont aussi couchés sur le papier:
cheminées, meubles, papiers peints, fenêtres à vitraux, boutons de porte, sonnettes...


Le "castel dérangé"

En 1898, année de son achèvement, le castel Béranger, situé au 14 rue Jean de la Fontaine, dans le 16ème arrondissement, est primé au concours de façades. Mais ses contemporains, choqués par cet "Art Nouveau' le surnomment le "castel dérangé".

Le peintre Paul Signac, qui emménage au sixième étage sur rue, dans un atelier couplé avec un appartement, écrit sur ce qu'il appelle "l'Excentric House".: "les passants béent, des groupes chevelus discutent, les cyclistes se relèvent, les automobilistes s'arrêtent, et lorsque le régiment défile, le colonel se retourne et se congestionne".

Il termine par ces mots: "Monsieur Guimard sera indiqué pour être le constructeur de la Maison joyeuse dans la Cité future".

 

castelbéranger

Le castel Béranger



Il n'empêche. Le castel Béranger est bel et bien le premier chef d'oeuvre d'Hector Guimard avec son style si particulier, d'où sont bannis symétrie et planéité. Les balcons sont ornés d'un visage grimaçant, oeuvre du sculpteur Ringel d'Illzach, qui créa aussi les hippocampes ancrés sur les chaînages.

La porte d'entrée principale est l'oeuvre de Balet, avec ses plaques de cuivre rouge enchassées dans des circonvolutions de fer forgé, donne accès à un vestibule
décoré par le céramiste Alexandre Bigot. Celui-ci est décoré de panneaux de grès vernissé brun aux reflets verts encastrés dans une armature métallique.

 

castelbérangerporte1

La porte d'entrée principale du castel Béranger

 

Le Castel Béranger rend Hector Guimard célèbre du jour au lendemain et entraîne une flambée de commandes qui vont faire de lui la figure de proue de l'Art nouveau en
France. 

 

castelbérangerentrée

Vestibule du castel Béranger

 


Celles-ci restent cependant essentiellement circonscrites aux notables de son quartier, Auteuil, ces clients constituant une sorte de réseau quasi «familial» 
de gens se connaissant généralement de près ou de loin.

 

La consécration

Cette toute nouvelle notoriété sera le tremplin nécessaire qui lui manquait pour accéder à la célébrité internationale.

L'Exposition Universelle de 1900 à Paris lui fournira l'occasion de faire preuve de talent et d'imagination.
En effet, la ville de Paris souhaite rattraper son retard sur les autres grandes métropoles déjà pourvues de ce moyen de transport.

La Compagnie du Métropolitain Parisien (CMP) organise un concours, mais les résultats en sont tellement peu originaux que celle-ci choisit de l'annuler et impose Hector Guimard, un non-inscrit ; et malgré plusieurs mésententes (financières notamment) avec l'architecte, celle-ci installera ses célèbres entourages en fonte, réalisés par la fonderie d'art du Val d'Osne, jusqu'en 1913.

 

Hector GUIMARD Edicule METRO PorteDauphine 1900

L'édicule Guimard de la station Porte Dauphine

 

Occupé par le chantier du métro, Guimard participe quand même à l'Exposition universelle de 1900, quoique de manière disparate. Il conçoit notamment le pavillon du
malt Déjardin et celui de la parfumerie Millot, pour laquelle il réalisera aussi des modèles de flacons.

 

flacon parfummillotguimard

Flacon de parfum imaginé par Guimard
pour la parfumerie Millot pendant
l'Exposition Universelle de 1900

 

Il est également sollicité – signe d’un succès encore tangible à ce moment – par la Manufacture nationale de Sèvres, qui lui commande successivement plusieurs modèles de vases.

 

vaseguimard

Un des nombreux modèles de vases
imaginés par Guimard

 

La maturité

C'est lors de l'Exposition Universelle de l'Habitation en 1903 qu'il imposera ce qu'il a lui-même nomme "le style Guimard".

C'est la maturation de son style au cours des premières années du XXè siècle qui lui permettra de s'affirmer comme l'un des architectes les plus prolifiques et originaux de son époque.

Bien que moins nombreuses, les commandes restent régulières jusqu'en 1914 mais se limitent à un cercle de clients encore plus restreint qu'auparavant.

Parmi ceux-ci figurent notamment le négociant en métaux Léon Nozal, véritable mécène qui lui commande des entrepôts (1902) à Saint-Denis, un atelier d'artiste (1903) avenue Perrichont – en fait destiné à Guimard lui-même et à son personnel – un imposant hôtel particulier (1905) rue du Ranelagh et une villa (1903) à Cabourg.

La quarantaine passée, Guimard épouse en 1909 l'artiste peintre américaine Adeline Oppenheim, fille d’un riche banquier de New York, qui a la vertu d’apporter à
l’architecte une certaine aisance financière.

Cette union donne lieu à l’édification de l’hôtel Guimard de l’avenue Mozart, cadeau de noce à son épouse en quelque
sorte, qui permet à l’architecte de concevoir, du gros œuvre jusqu’au service de table, un des espaces les plus aboutis du style Guimard.

Véritable « architecture- manifeste », il s’agit bien – et l’hôtel Mezzara, au même moment, donne un exemple comparable – non pas d’une simple survivance, mais bien d’une apothéose artistique, là encore largement après 1900.


L'oubli et la redécouverte

La Grande Guerre qui éclate en 1914 sera un événement capital pour le pays et pour la carrière d'Hector Guimard. Les commandes se raréfient, et le style Guimard qui a
fait sa célébrité sera une des causes de son déclin.

Trop sophistiquées, trop coûteuses car difficilement reproductibles en grande série, ses créations ne sont plus
réservées qu'à une clientèle très fortunée. Il tentera de se lancer dans la production en série de petits modules d'habitation en préfabriqué, mais ce projet n'aboutira pas.

Seul l'hôtel particulier en béton du square Jasmin sera le témoin de cette expérience. Cette période déclinante ne s'éteindra qu'avec la mort d'Hector Guimard à New-York en 1942, où il avait accompagné sa femme, d'origine juive américaine, en exil.

 

castelhenrietteguimard

Le castel Henriette à Sèvres, avant sa démolition en 1969

 

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Adeline Guimard revient une dernière fois en France pour régler les affaires de son mari et proposer aux autorités concernées de transformer l’hôtel de l’avenue Mozart en musée Guimard.

Essuyant un refus poli, elle se contente alors d’offrir à quelques musées parisiens et lyonnais les plus belles pièces de mobilier alors en sa possession, et rapatrie ce qu’elle peut aux Etats-Unis.

La promotion immobilière qui caractérise l’époque des Trente Glorieuses s’avère catastrophique pour le patrimoine guimardien. Près de la moitié de son héritage bâti disparaissant au total : villa La Surprise en 1944, hôtel Nozal en 1957, hôtel Roy vers 1960, ateliers Guimard vers 1960, pavillon du métro Bastille en 1962, Castel Henriette en 1969, etc.

Aujourd'hui, l'oeuvre de Guimard, chef de file de l'Art Nouveau, est mondialement reconnue. La rupture architecturale avec les styles haussmannien et
post-haussmannien sera totale.

En apportant cette modernité dans les lignes, les formes, les sources d'inspiration où la faune, les plantes, les fleurs et les fruits remplacèrent les sévères motifs des immeubles de la seconde moitié du XIXè siècle, il créera un style universel qui se déclinera dans le mobilier et le paysage urbain...

 

 

 

 

Page 2

Le saviez-vous ?


L'Art Nouveau

Réaliser l'unité de l'art et de la vie, tel était l'objectif déclaré de l'Art nouveau qui estime qu’il faut un cadre de vie qui correspond aux exigences de l’homme moderne du début du xxe siècle.

Une autre problématique est de réagir contre une dérive liée à l’industrialisation à outrance et dépourvue de toute capacité d’invention. Prendre la nature comme référence, c’est alors réagir contre le rationnalisme du début de l’ère industrielle, sa froide efficacité et sa morale puritaine.

Les motifs habituellement représentés sont des fleurs, des plantes, des arbres, des insectes ou des animaux, ce qui permettait non seulement de faire entrer le beau dans les habitations, mais aussi de faire prendre conscience de l'esthétique dans la nature.

Si la référence à la nature est une constante, la façon dont ces artistes vont aborder les modèles naturels varie. Émile Gallé est un artiste naturaliste qui s'inspire de la nature en la stylisant très peu, il utilise ses formes dans les décors et dans les dessins des meubles.

 

guimard tabouret

Tabouret imaginé par Guimard pour
l'Exposition Universelle de 1900



D’autres artistes vont plus loin et restituent dans les formes qu’ils inventent ce sentiment de la sève qui circule dans le monde végétal. Naissent ainsi des formes organiques qui suggèrent plus un organisme en croissance qu’un modèle précis.

C'est par exemple le cas de Guimard, de Gaudí et de certains artistes allemands comme August Endell qui partent de la nature pour évoluer vers un phénomène d’abstraction.

Les artistes vont créer des formes originales, inédites, inventer un vocabulaire nouveau tout en tenant compte de la possibilité de les reproduire industriellement.
C'est une réaction à la fois contre une industrialisation mal pensée, tout en intégrant cette volonté de modernité. Avec l'utilisation des matériaux nouveaux et des moyens de production modernes, l'un des buts poursuivis, pour lequel il a échoué, était de s’adresser au plus grand nombre.

C'est dans cette optique que les anciens matériaux comme le bois, la pierre ont été élégamment mariés avec les nouveaux comme l'acier, le verre.

Pour chacun d'eux, des artistes ont poussé leurs recherches à l'extrême pour en tirer le meilleur. C'est ainsi que les pâtes de verres multicouches, les rampes d'escalier à entrelacs de ferronneries, les meubles aux ondulations de bois ont permis de mettre l'art à disposition de tous pour un coût abordable tout en gardant une volonté d'innovation formelle, inspirée de la nature. Cet art est tout de même lié à de nombreux mécènes et se propage dans un premier temps dans un milieu élitiste bourgeois.

Les clients sont nombreux pour les vases Gallé dans les milieux mondains parisiens entre 1896-99. Mais très vite le succès populaire, notamment dans le domaine de l’affiche, en fait quelque chose qui manque de classe et l’Art nouveau sera assez vite assimilé à l’émergence des classes moyennes.

Très vite dévalué, puis mis en cause par les milieux nationalistes, il disparaît totalement dans les milieux aisés en l'espace de quelques années.
A contrario, il survivra dans les classes moyennes
françaises jusque dans les années 1920 comme en témoigne l’Exposition des Arts Décoratifs de 1925 où son influence est encore très sensible.

Le saviez-vous?


Le mobilier urbain selon Guimard

Lors de la création des premières lignes du métro, un concours pour la réalisation d'édicules d'accès aux stations est lancé en 1899 par la Compagnie du chemin de fer
métropolitain de Paris (CMP). Ceux-ci doivent être vitrés « sur la plus grande hauteur possible, à partir de un mètre environ du sol ». Ils doivent également être « ornés d'une frise pouvant recevoir des caractères très apparents, éclairés par transparence pendant la nuit, portant l'indication : Chemin de fer métropolitain ».

Les dirigeants de la compagnie rejettent les projets retenus dans le cadre du concours d'architecte, les jugeant trop classiques. Celui de Jean Camille Formigé est en revanche approuvé par la compagnie mais est rejeté par la Ville de Paris, dont il était pourtant l'architecte. Il se charge en revanche de l'architecture des stations aériennes.

C'est le président de la CMP, Adrien Bénard, qui propose un architecte de l'Art nouveau : Hector Guimard. Bien que n'ayant pas concouru, il dessine deux types d'entrées, des édicules et de simples entourages. Composés de fonte moulurée, les éléments sont modulables et permettent de réaliser des édicules de dimensions variables. On compte jusque 167 ouvrages de Guimard en 1913, les derniers ayant été installés sur la boucle d'Auteuil de la ligne 10.

 

CMP

 

Dès 1904, pour l'accès aux grandes stations situées devant des monuments comme l'Opéra ou la Madeleine, la CMP fait réaliser des entourages plus classiques en pierre de taille par l'architecte Cassien-Bernard. Le style Guimard très chargé passe vite de mode dès les années 1900, et plusieurs architectes sont ensuite chargés de réaliser des balustrades en fer forgé d'un style plus simple et sobre. Ces nouveaux entourages portent un plan du réseau, qui est également ajouté aux anciens entourages Guimard.

Les édicules Guimard sont parfois démolis, jusqu'à leur protection dans les années 1960-1970. Il n'en existe plus aujourd'hui que 86 répartis sur 66 stations.

Les grands édicules d'accès ne sont que treize, les entourages simples étant très majoritaires. Les plus imposants étaient situés à Étoile et à Bastille sous la forme de sortes de « pavillon chinois » ou « pagode » de grandes dimensions, symbolisant la première ligne du métropolitain.

 

Métro Pasteur CMP

La station de métro Pasteur, à l'époque de la CMP



Toutes deux ont disparu, celle de la Bastille ayant été détruite en 1962. Des trois qui subsistent encore, seul celui de la Porte Dauphine (ligne 2) est d'origine.
Celui d'Abbesses (ligne 12), était originellement situé à Hôtel de Ville (rue de Lobau) et a été déplacé à cet emplacement en 1974. Celui de Châtelet (place Sainte-Opportune) a été reconstitué en 2000 pour le centenaire du métro. Les édicules vitrés plus modestes furent surnommés « libellules ».

Les entourages classiques font largement appel à la symbolique florale, et font apparaître la lettre « M » sur les cartouches des principaux accès.

Sur une plaque de lave émaillée dans un typographie de style art nouveau créée par Guimard, le mot « Métropolitain » est porté par deux longues tiges, dites « brins de muguet ». D'une forme évoquant la lentille du physicien Augustin Fresnel, les globes lumineux orange, dits « holophanes » (du nom de leur fabricant, la société Holophane aux Andelys), sont ajoutés à partir de 1930. Le verre original a été remplacé par des globes en polycarbonate, seul l'exemplaire de Montréal conservant le verre d'origine. Dans le cadre du programme Renouveau du métro, l'éclairagiste Benoît Lalloz repense le réflecteur intérieur pour réorienter les flux lumineux.

Tab