Parisenchansons
Auteur : LADRE Année : 1790

 

AH ! CA IRA !

Analyse

Lorsqu'on parlait à Benjamin Franklin de la guerre d'Amérique et de ses progrès, il avait l'habitude de se frotter les mains en répétant : " Ah ! Ca ira ! Ca ira !".

Tel serait le point de départ d'une chanson, alors anodine et exempte de toute agressivité, qu'un certain Ladré, chanteur ambulant, conçut au début de l'été 1790, et, dit-on, à l'instigation de La Fayette.


L'air dont il s'est inspiré est celui d'une contredanse de Bécourt, violoniste au théâtre Beaujolais, qui avait pour titre "Le Carillon national". On la jouait alors à la cour et à la ville. La Reine Marie-Antoinette elle-même l'aurait interprétée sur son clavecin.

 

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Dans la Chronique de Paris du 9 juillet 1790, on en parle pour la première fois en ces termes: "Il n'est point de corporation qui ne veuille contribuer à l'autel de la patrie. Une musique militaire les précède. Leur cri de ralliement est ce refrain connu d'une chanson nouvelle qu'on appelle le Carillon national. Tous chantent à la fois: Ah ! Ca ira ! Ca ira ! Ca ira !".

Cinq jours plus tard, et pour la Fête de la Fédération qui marquait l'anniversaire de la prise de la Bastille, plusieurs autres couplets auraient été improvisés, malgré la pluie qui inondait le Champ de Mars, et, pour la première fois, les aristocrates auraient été visés. "La musique et les cris de joie se mêlaient aux lieux communs contre les aristocrates. Le refrain de la plupart des chansons était : "Ah ! Ca ira ! Les aristocrates à la lanterne !" écrit le Mercure.

Camille Desmoulins (1760-1794), qui a appelé à l’insurrection du 12 juillet 1789 au Palais-Royal, relance sa popularité grâce au Discours de la Lanterne aux Parisiens, pamphlet paru peu après l’exécution sommaire de Foulon et de Bertier de Sauvigny (22 juillet).

Dès la première page, une gravure le met en scène sous le surnom de « Procureur Général de la Lanterne ». Entouré d’un auditoire attentif et paisible de Parisiens de toutes conditions, il s’adresse à cette fatale lanterne. Située sur la place de Grève, actuelle place de l’Hôtel de Ville, elle est simplement placée au-dessus d’un buste de Louis XIV, à l’angle d’une boutique d’épicier-droguiste, fabricant de chocolat.

Le réverbère ayant été enlevé, il ne reste que la branche de fer au-dessous de laquelle les émeutiers ont traîné en hurlant les hommes qu’ils voulaient pendre. Le cri lugubre « À la lanterne ! » date de ces exécutions sommaires.

 

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C'est pour remplacer ce chant "niveleur", comme le nommait l'historien Michelet, et jugé vulgaire, que Dietrich, le maire de Strasbourg et ses amis auraient suggéré à Rouget de Lisle la composition d'un Chant de Guerre pour l'Armée du Rhin, en avril 1792.

Le thème de Bécourt, symbole de l'esprit révolutionnaire, a été cité dans un certain nombre d'oeuvres musicales, comme la sixième Symphonie de Miakovski.

Le Ça ira survécut à Thermidor et le Directoire ordonna même qu’on le chantât avant chaque spectacle, mais il fut interdit sous le Consulat.

 

Notes:

Le "vrai cathéchisme" dont il est question dans le troisième couple est celui des révolutionnaires. Leur "credo" était d'abolir l'"Ancien Régime", ses symboles et tout ce qui pouvait en rappeler le souvenir. Les titres nobiliaires furent supprimés, les privilèges abolis, les biens confisqués, les religieux massacrés ou forcés de se convertir à la Constitution civile du clergé...


Quand à l"l'affreux fanatisme", il s'agit, bien évidemment, de la religion catholique, dont les philosophes des Lumières, Voltaire et Rousseau en tête, avaient fait leur bête noire.

La nature ayant horreur du vide, Robespierre, dictateur sanguinaire, substitua à "l'affreux fanatisme" le Culte de l'Être Suprême, dont il était le Dieu. 


 

Paroles

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Le peuple en ce jour sans cesse répète,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Malgré les mutins tout réussira.
Nos ennemis confus en restent là
Et nous allons chanter « Alléluia ! »

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Quand Boileau jadis du clergé parla
Comme un prophète il a prédit cela.
En chantant ma chansonnette
Avec plaisir on dira :

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Suivant les maximes de l’évangile
Du législateur tout s’accomplira.
Celui qui s’élève on l’abaissera
Celui qui s’abaisse on l’élèvera.
Le vrai catéchisme nous instruira
Et l’affreux fanatisme s’éteindra.
Pour être à la loi docile
Tout Français s’exercera.

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Pierrette et Margot chantent la guinguette
Réjouissons-nous, le bon temps viendra !
Le peuple français jadis à quia,
L’aristocrate dit : « Mea culpa ! »
Le clergé regrette le bien qu'il a,
Par justice, la nation l’aura.
Par le prudent Lafayette,
Tout le monde s’apaisera.

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Par les flambeaux de l’auguste assemblée,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Le peuple armé toujours se gardera.
Le vrai d'avec le faux l’on connaîtra,
Le citoyen pour le bien soutiendra.

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Quand l’aristocrate protestera,
Le bon citoyen au nez lui rira,
Sans avoir l’âme troublée,
Toujours le plus fort sera.

Petits comme grands sont soldats dans l’âme,
Pendant la guerre aucun ne trahira.
Avec cœur tout bon Français combattra,
S’il voit du louche, hardiment parlera.
Lafayette dit : « Vienne qui voudra ! »
Sans craindre ni feu, ni flamme,
Le Français toujours vaincra !

 

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Les aristocrates à la lanterne,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Les aristocrates on les pendra !
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Les aristocrates à la lanterne.
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Les aristocrates on les pendra.
Si on n’ les pend pas
On les rompra
Si on n’ les rompt pas
On les brûlera.

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Nous n’avions plus ni nobles, ni prêtres,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
L’égalité partout régnera.
L’esclave autrichien le suivra,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Et leur infernale clique
Au diable s’envolera.

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Les aristocrates à la lanterne ;
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Les aristocrates on les pendra ;
Et quand on les aura tous pendus,
On leur fichera la paille au c...,
Imbibée de pétrole, vive le son, vive le son,
Imbibée de pétrole, vive le son du canon.

 

Couplets improvisés dans la matinée au Champ de Mars, pendant une averse :

Ah ça ira, ça ira, ça ira !
En dépit d'z aristocrat' et d'la pluie,
Ah! ça ira, ça ira, ça ira !
Nous nous mouillerons, mais ça finira.

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
On va trop bien l'nouer pour que ça s'délie,
Ah ! ça tiendra ! ça tiendra ! ça tiendra !
Et dans deux mille ans on s'en souviendra !

Pierre Dac , figure de la résistance, parodiera cette chanson lors d'une de ses interventions à radio Londres en reprenant le refrain :

"Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Les collaborateurs à la lanterne.
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Les collaborateurs on les pendra."

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